« La loi génératrice de l’univers fut l’Intellect premier-né,
La seconde après le Premier-né fut le Chaos (partout) répandu;
L’Âme prit la troisième place, parachevant la loi.
C’est pour cela que, revêtue de la forme d’une biche,
Elle peine, jouet de la mort, dominée (par elle).
Tantôt, en possession d’un palais, elle regarde la lumière,
Tantôt, chassée jusque dans une caverne, elle y ploie,
Tantôt elle se réjouit, tantôt elle pleure,
Tantôt elle juge, tantôt elle est jugée,
Tantôt elle meurt, tantôt elle vient à la vie.
Et l’infortunée, dans ses errances, pénètre sans retour
Dans un labyrinthe de malheurs.
Mais Jésus dit : « Regarde, Père,
Cette quête de malheurs sur la terre,
Elle erre loin de ton souffle,
Elle cherche à fuir l’amer Chaos,
Et ne sait pas comment le traverser.
Aussi, envoie-moi, Père :
Je descendrai, muni de mes sceaux,
Je franchirai tous les éons,
Je découvrirai tous les mystères,
Je montrerai les formes des dieux,
Et les secrets de la sainte voie,
Je les transmettrai sous le nom de gnose. »
« Alors même que nous investissons le monde des communications électroniques, le fait de se tourner vers les littératures de l’imaginaire ne s’explique peut-être pas seulement par le besoin de se rassurer, ni par une simple nostalgie. Entrer corps et âme dans le monde de l’imaginaire, c’est aussi se tourner ou se retourner délibérément vers le monde réel. Dans un poème de TS Eliot, un oiseau dit : « Le genre humain ne peut pas supporter trop de réalité. » J’ai toujours pensé que cet oiseau se trompait, ou ne parlait que de certaines personnes. Je trouve justement incroyable ce que supportent la plupart d’entre nous. Pas seulement supportent, mais désirent, réclament avec avidité. La réalité est vie. Là où nous suffoquons, c’est dans cette demi-vie de l’irréel, du mensonge, de l’imitation, de la contrefaçon, le presque vrai qui est toujours faux. Être humain, c’est vivre sur et au-delà de cette étroite bande du ce-qui-se-passe, dans les vastes espaces du passé et du possible, du connu et de l’imaginé : notre vrai monde, notre vrai Maintenant. » UKLG, Postface aux Contes de Terremer.
J'ai passé une partie de ma vie dans la honte. Désormais, ce n'est plus à moi d'avoir honte. Ce n'est plus mon tour. From now on, I will be unapologetically insane comme le dit un meme : c'est désormais ma démarche. Je rejette toute forme de honte et de culpabilité, et par là-même je rejette toute tentative de cohérence esthétique ou discursive. J'ai longtemps cherché à m'élever et à donner un cadre, une ligne directrice à ce que je fais et ce que je suis. Mais cela ne traduisait qu'une tentative désespérée de "recadrer" ma vie et de m'accorder à leurs valeurs. Tout cela n'a engendré que nausées et angoisses. C'est fini. Il est trop tard. Il faut que je crache tout, d'une manière ou d'une autre, et je refuse toute forme d'angoisse. Peu importe comment tout cela sera reçu. Ce n'est plus à moi d'avoir honte.
Et voilà que je me lance dans ce projet bancal : une publication mensuelle, recensant tout et n’importe quoi, vous exposant ce que je récolte dans mes flâneries psychotiques. Ce sera un chantier continuel. J’apprends à coder de la même manière que j’apprends à exister, à me faufiler entre les groupes et les discours tel·le un serpent entre les pierres. J’apprends à coder comme j’apprends à mettre du liner : avec acharnement, comme un dernier recours, un baroud d’honneur. C'est une marche forcée, ponctuée de chutes et d’échecs ; un chemin de croix.
Bien sûr que j’exagère. Mais je refuse de me débarrasser de ce style adolescent, furieux et stupide. Habituez-vous.
Il faut absolument écouter Sewerslvt !!!
Eh oui je sais, je suis à la ramasse, mais j’étais complètement passé·e à côté de ce projet jusqu’à très récemment.
Sewerslvt c’est du breakcore dépressif, avec une mythologie qui rendrait Nattramn jaloux…
Jvnko, l’artiste australien·ne qui se cache derrière ce projet, a sorti une petite dizaine d’albums entre 2017 et 2021, jusqu’à son album final, We Had Good Times Together, Don't Forget That , dédié à Angel, décédé·e à l’âge de 23 ans.
La musique de Sewerslvt va vous guider dans vos meilleures phases dissociatives, avec des samples bien choisis, des nappes ambiantes mélancoliques bien comme il faut, et du glitch/breakcore/jungle/d&b/jsp par-dessus.
C’est un projet qui n’aurait pu voir le jour sans internet ; c’est le fruit d’une âme née trop tard ou trop tôt, d’un être dont on aurait coupé les ailes et qui erre dans les tréfonds des imageboards à la recherche de son propre reflet…
La musique vaut mieux que mille mots : allez écouter ça de suite .
Je vous livre ce petit poème, qui a maintenant presque six ans. C'est très maladroit, mais certains passages ne sont pas trop mal. Je vous laisse juges.
Triste ivresse des voyages L’univers un peu moite se distille dans l’alambic des âmes Et les monuments passent Comme une liqueur nouvelle Tout murmure ici un air étranger Et des prophéties hermétiques Les étudiantes allemandes trop souriantes chantent faux comme ce soleil de Potsdam L’homme parle trop il faut parfois que je me débranche Sentir suffit parfois Sentir : mourir et renaître dans un siècle autre Et tous ceux-là que je n’entends plus Ce groupe un peu laid Se réincarne dans un baroque nouveau Je pourrais en parler longtemps Mais peu importe 21. Comme en sursis j’explore des choses nouvelles que je ne comprends pas Le Mur qui nous fusille de son granit et nous écrase par le temps passé Les Berlinois désormais ______ qui suent grouillent et gigotent Les galeries d’art contemporain – beau mais masturbatoire Et ce petit nuage qui s’infuse partout. 23. [La lune mâle allemande.] Ces nuages-là sont bien plus beaux que l’asphyxiant et vide bleu. Les freins du train chantent un air connu L’ancienne plainte de la terre Résonne dans l’acier La campagne semble plus belle sous un ciel pensif : Regard Songeur il faudra bien mourir mais partir c’est déjà | un peu | ça Et ce que j’aime dans les trains Et dans tous les voyages C’est cette fatigue dans l’air Et les murmures en bribes des passagers Qui se mêlent à d’autres murmures Et ce que j’aime C’est que jamais Nous ne comprendrons [Comme tout acte humain depuis trois siècles C’est de la branlette] Les murmures se dissipent C’est moins beau [liberté totale et nous verrons bien] Cela ne me saoule ni ne me souye Ah et pourtant Berlin Berlin Ces hommes Partout Sont admirables dans leur laideur Laideur trop humaine Et ça court et ça rit et ça bouge Et ça souye haha Il n’y a plus grand-chose à dire ensuite Car c’est gris bien gris Mais un dernier musée avant de partir La couleur aspire l’esprit Se transporter Voilà tout [Qu’a-t-il pu se passer en si peu de siècles ?] ah si l’homme ne faisait plus de bruit ses pieds chantent trop fort ses paroles résonnent … … les mots ne viennent pas il y en a pourtant des choses à dire … Il est trop tard pour comprendre la nature des choses – j’ai tant besoin de silence.
Là pareil, je vis vraiment dans une grotte : j'ai découvert le screamo très tard, il y a un an et demi ou deux ans. Je me suis demandé comment j'ai fait pour passer à côté pendant autant d'années, alors que j'écoutais du DSBM souvent assez cringe, qui n'est qu'un ersatz de screamo, mais fait par des incels.
Anomie, c'est un groupe totalement adolescent, au sens propre du terme (le batteur avait genre 14 ans, et iels étaient il me semble au lycée lors de la formation du groupe), et qui dégage une énergie juvénile assez impressionnante. Les textes sont parfois assez edgy mais très touchants. Je vous recommande d'aller y jeter une oreille, leur discographie est sur youtube (le groupe n'a pas fait beaucoup d'albums, il y en a pour une heure et quelques d'écoute).
Je vous mets les paroles de leur morceau Deny Tradition , c'est assez parlant.
"Les hommes frappent, réduisent au silence, les hommes violent, abusent, refusent les responsabilités et humilient,
les hommes expérimentés dans l'art guerrier chantent des chansons martiales et jouent des jeux de guerre.
Et pourtant je ne peux voir aucun désir de violence dans les yeux de ce garçon. Je ne peux voir qu'une humanité menacée par la mitraillette dans ces mains,
cette mitraillette façonnée par des mains d'hommes, cette mitraillette aussi artificielle que le char blindé derrière lui,
aussi artificielle que les rôles sociaux et culturels que l'ont se voit imposer. Depuis des siècles on apprend aux hommes à combattre les hommes et à baiser les femmes...
Il est si facile pour nous d'accepter l'idée d'une violence innée et d'une pulsion sexuelle agressive parce que nous avons peur... J'ai peur de toi, peur de moi-même...
cela m'obsède, me paralyse... cette peur doit disparaître avant qu'elle ne me détruise...
Elle doit disparaître afin que je puisse vraiment me comprendre et aimer quelqu'un d'autre...
Il est temps de rejeter notre peur et de commencer à nier la tradition !"
Le journal d’Anton Beraber est un îlot de paix au milieu de la tempête visuelle qu’est instagram. Avec une prose excellente, parfaitement ciselée, très rare aujourd’hui, il nous livre des miettes de sa vie, et nous permet de contempler la nôtre en miroir. J’entends sa voix, j’adopte sa voix, je me raconte ma propre vie avec le même recul et la même sérénité.
C’est en m’abonnant par un pur hasard à son compte que j’ai découvert l’existence de l’auteur. Je ne l’ai pas encore lu, mais j’ai très hâte de mettre la main sur Braves d’après ou les Signes d’un fléchissement à la troisième semaine du Jeûne . De ce que j’ai pu en lire par ci par là (sur En attendant Nadeau notamment, un excellent blog que je recommande), ça a l’air d’être une œuvre oraculaire, tout à la fois cryptique et lumineuse.
La littérature se porte bien, malgré ce qu’en disent certains oiseaux de malheur... (tous mes maisonneux détestent Juan Asensio).
Extrait - écrit aux alentours de novembre XXI.
Qui dit biographie, dit géographie. Il me faut peut-être alors commencer par évoquer la ville dans laquelle j’ai grandi. J’y vis encore en ce moment : après deux ans passés à Reims pour mes études, je suis revenu pour quelques temps chez mes parents, d’où j’écris ce texte hasardeux (je pianote sans savoir où je vais, au moins une heure par soir, les yeux rivés sur mon écran jaune – pas de lumière bleue – et du Bladee dans les oreilles).
Versailles, car c’est d’elle qu’il s’agit, est une ville tout à fait particulière, qui selon moi confine au fantastique. Elle m’a profondément marqué et que je le veuille ou non elle a participé à faire de moi ce que je suis désormais. Pour citer Noir Boy George, « il y a deux choses qui font un homme, sa mère/sa drogue et sa ville. »
Au-delà de l’ambiance générale de la ville que je tenterai tant bien que mal de décrire, un véritable romancier qui mettrait les pieds à Versailles y verrait tellement de personnages, de décors et d’intrigues à retranscrire…
Les jolis petits troupeaux endimanchés au sortir des messes, l’agitation du marché, si différente le samedi du dimanche, l’avenue de Paris vide après 2h, alors que seules la place du Marché et la rue de Satory résonnent encore des conversations des derniers buveurs, les lycéens, au printemps, qui vont s’installer en cercles tranquilles autour de la pièce d’eau des Suisses, les amants qui ont du mal à se dire au revoir devant la gare des Chantiers…
L’automne est la saison par excellence de la ville. Tout prend une tournure irréelle, on se sent tout de suite bien plus détaché de tout, et tellement proche d’une forme d’absolu face au ciel gris orange, aux branches et aux feuilles mortes qui jonchent le bitume des avenues, au silence qui enveloppe tout dès la tombée du jour, à l’odeur de feu de bois qui infuse la ville le dimanche après-midi (on imagine sans peine, dans tous ces foyers vieux-bourgeois, les grandes familles ou les petits vieux en train de lire, au coin de la cheminée).
J’y ai passé tant de temps. J’y ai tant vécu.
Au-delà du paysage et de l’ambiance il y a aussi toute la faune de la ville évidemment ; mais je n’ai pas envie de m’attarder dessus, et de me perdre dans le mépris que je ressens pour les curés, les boy-scouts, les rallyes et les doudounes de marque des lycéens hype.
Paris, bien entendu, a aussi son importance dans la construction tortueuse de mon existence. Cette grande ville représentait un lieu d’aventure en quelque sorte, à la fois proche et lointain. Je pense que le terme d’aventure n’est pas déplacé pour un adolescent (pas très endurci) de seize ou dix-sept ans qui passe une nuit à traverser la ville en titubant, à la recherche d’un lieu toujours lointain (bar, kebab ou appartement) qui devient l’objet d’une quête symbolique dont la portée le dépasse complètement.
Samedi dernier, j'ai vécu une soirée pour le moins intense. La fatigue, l'alcool, et la reprise pour moi des concerts après une longue trêve y étaient peut-être un peu pour quelque chose, mais tout ça n'a joué qu'en surface.
Non, quel que soit le contexte et mon propre état, j'aurais forcément eu les tripes un peu retournées.
Tout a commencé avec l'irruption de Léa Jacta Est sur scène. J'ai été très vite séduit·e par sa folk brûlante, kétaminée, lancinante, aux accents définitivement southern goth. Cette enfant bâtarde de Nico et de Nina Hagen est à écouter d'urgence et à suivre avec attention ! Puis vint Bière Noire, tout aussi saisissant avec sa pop lo-fi dégénérée, amère et épaisse, comme une putain de stout à 13°. Quant à la performance de VOMIR, précédée d'une lecture de L'ombre des forêts de Martinet (à l'occasion de sa réédition aux éditions L'Atteinte )... Je ne saurais pas même comment décrire une telle expérience. Tout ce que je peux dire, c'est que depuis bien six ou sept années que j'écoute régulièrement du hnw, j'étais particulièrement heureuxse de pouvoir le vivre enfin pleinement, ne serait-ce que pour une petite demi-heure. Enfin Mongolito est venu nous déterrer après cette séance de claustration, et m'a embarqué·e dans ses mélodies lancinantes fabuleuses. La batterie n'était pas de la partie (sûrement un parti pris, à moins que Déhà, avec ses millions de projets parallèles, n'ait pas pu venir). Mais tant mieux : ça prenait encore une autre dimension. J'avais envie de m'endormir, de tomber en avant, avec l'impression diffuse que rien n'allait m'arriver - ou plutôt que le rien m'arriverait enfin, qu'on allait doucement m'emporter et m'installer sur un lit de mousse tiède au coeur de la toute première forêt, à côté de la source du monde, là où les hyènes dansent avec les écureuils...
Un très grand merci à Croux et au Comité des Caves pour cette excellente soirée. Rendez-vous en février pour Geography of Hell et Maginot !